LES LAÏCS DANS L'EGLISE
    (Courriers  reçus)
    Je vais vous inviter à jeter un triple regard sur l'Église :
    1) sur son présent d'abord, pour diagnostiquer, au 
    principe de sa crise actuelle, un manque de communication avec le monde laïcisé 
    issu de la modernité,manque imputable à la privation  de 
    parole responsable dont souffre son laïcat;
    2) puis sur ses origines, pour découvrir une possibilité 
    de sortir de cette crise. Cette possibilité réside dans le caractère 
    sacerdotal du peuple chrétien, qui permet d'associer le laïcat 
    au ministère consacré de la tradition apostolique;
    3) enfin sur l'avenir de la mission évangélique, 
    que l'Église serait impuissante à remplirsans appeler le laïcat 
    à en assumer la responsabilité, sous la conduite de sa hiérarchieet 
    sous des formes à inventer de concert dès maintenant.
    1. Diagnostic du présent
    Il y a plusieurs dizaines d'années que les sociologues analysent en 
    termes de déclin, d'éclipse, de dépérissement, 
    de retrait, de disparition, et autres termes non moins alarmants, la situation 
    de la religion en général (il s'agit le plus souvent du christianisme) 
    et celle de l'Église en particulier (ce sera souvent la seule confession 
    catholique ou son magistère que je désignerai sous ce nom). 
    L'Église n'admet pas volontiers ce diagnostic. Il n'y a pas longtemps 
    que l'Osservatore Romano, rappelant qu'elle est universelle, vantait à 
    coups de statistiques triomphalistes l'exceptionnelle bonne santé de 
    l'Église. Il fallait bien concéder toutefois qu'il n'en allait 
    pas de même en Europe, mais les explications ne manquaient pas, qui 
    situaient les causes dû péril au dehors de l'Église : 
    le matérialisme, le goût du plaisir et du profit, la sécularisation 
    de la société, le laïcisme des pouvoirs publics. La reconquête 
    du terrain perdu était déjà en cours, assurait-on : c'était 
    la nouvelle évangélisation. On devait malheureusement avouer 
    qu'on allait manquer d'ouvriers apostoliques : soit par défaut d'esprit 
    de sacrifice, ouparce que les responsables n'osaient pas solliciter la générosité 
    des jeunes, on ne réussissait pas à enrayer la baisse du recrutement 
    du clergé. Ainsi avait-on cerné le mal mortel dont souffrait 
    l'Église des pays occidentaux : le manque de prêtres ; il n'y 
    avait pas de remède à chercher sur d'autres terrains.
    Cette analyse institutionnelle ne va pas à la racine du mal, au fait 
    que l'Église se vide de ses fidèles de façon continue 
    depuis plusieurs siècles, et plus particulièrement de ses jeunes 
    fidèles depuis un demi-siède : la transmission des croyances, 
    des pratiques et des liens d'appartenance ne se fait plus. Que le manque de 
    prêtres obère gravement le fonctionnement de l'institution ecclésiale, 
    c'est un fait indiscutable et douloureux. Mais la fuite massive des fidèles 
    est un phénomène autrement plus inquiétant, puisqu'elle 
    menace l'Église d'extinction, et comment ne pas en chercher la cause 
    au-dedans de l'institution qui n'a pas su retenir chez elle ceux qui l'ont 
    quittée?
    Un historien reconnu démontrait récemment, analyses textuelles 
    à l'appui, que la pensée des Lumières était l'héritage 
    sécularisé de la spiritualité chrétienne du XVIIe 
    siècle. Ce qu'on appelle la Modernité – la naissance du 
    sujet qui s'affranchit de l'autorité et de la tradition, l'apparition 
    d'une rationalité basée sur le doute méthodique et l'observation 
    scientifique, l'analyse critique des textes bibliques, la revendication de 
    la liberté de penser, de philosopher et de croire, l'aspiration aux 
    droits individuels et politiques – tout ce vaste mouvement d'émancipation, 
    qui commence avant même le XVIIe siècle, a pris naissance au 
    sein d'une société majoritairement chrétienne, au sein 
    même d'institutions ecclésiastiques, et n'était pas dirigé 
    contre la foi ni l'Église. Mais les autorités de l'Église 
    n'ont pas compris la légitimité de ces aspirations, elles se 
    sont senties mises en cause et s'y sont opposées, et les chrétiens 
    sont allés chercher au-dehors les libertés qui leur étaient 
    refusées au-dedans.
    L'hostilité entre l'Église et la modernité s'est aggravée 
    à mesure que la raison, rejetée et laissée à elle-même, 
    s'émancipait des croyances et virait au rationalisme, et que la hiérarchie 
    ecclésiale s'alarmait des aspirations démocratiques même 
    tournées contre les autorités politiques.
    Ainsi s'est consommée la rupture avec le monde moderne.
    On sait que Vatican II a voulu renouer les relations avec ce monde et a reconnu 
    la légitimité de beaucoup d'idées "modernes" 
    que la Papauté du XIXe siècle n'avait cessé de condamner, 
    en particulier les droits de l'homme et la liberté de conscience et 
    de religion. Quarante ans après, on ne peut pas dire que la situation 
    se soit améliorée, ni sur le plan des relations entre monde 
    et Église, ni sur celui des relations entre laïcat et hiérarchie 
    catholique; qu'il s'agisse des unes ou des autres, le diagnostic est le même 
    : la communication ne passe pas. Enplus de trois siècles d'affrontement 
    à la modernité, l'Église n'a toujours pas appris à 
    dialoguer, elle ne sait qu'enseigner au titre de son autorité divine 
    des vérités censées immuables. S'il ne s'agissait que 
    des vérités de foi tirées de sa révélation 
    et concernant le salut éternel, on ne lui en ferait pas le reproche. 
    Mais elle prétend régenter aussi le vaste domaine des vérités 
    d'ordre éthique accessibles à la raison naturelle, qui s'étend 
    à la vie de l'homme en société et à ses liens 
    à l'univers. Or, pour l'homme de la modernité, tout ce qui relève 
    de la raison commune, de la condition humaine universelle, du bien commun, 
    tout cela relève du débat public, du dialogue philosophique, 
    tout cela est soumis à des procédures démocratiques de 
    discussion, rien ne peut être tranché par simple rappel à 
    l'ordre de traditions immuables, de principes métaphysiques absolus, 
    ni d'une autorité divine. L'Église est statutairement incapable 
    d'entrer dans ce débat, et donc de ramener à elle ses anciens 
    fidèles égarés dans ce monde sécularisé. 
    Elle est non moins incapable d'empêcher de la quitter des fidèles 
    qui vivent, sentent et pensent en connivence avec la rationalité et 
    la socialité de leur temps.
    Voici donc l'Église menacée de ne plus pouvoir remplir la mission 
    qui est sa seule raison d'être : annoncer l'Évangile au monde. 
    Cette mission est surtout assurément d'annoncer Jésus Christ, 
    mais c'est aussi et au préalable de répandre sa pensée, 
    l'esprit évangélique, qui conditionne l'accès à 
    sa personne par la foi, et qui est nécessaire à la vie du monde, 
    car ses paroles sont esprit et vie. Or, si elles ne peuvent pas être 
    répandues par voie d'autorité mais seulement de débat, 
    la mission évangélique dans une société laïque 
    devrait largement incomber au laïcat chrétien. Or, il n'est de 
    parole autorisée dans l'Église que celle qui émane de 
    ses chefs et ministres consacrés. Les laïcs ne peuvent que témoigner 
    à titre individuel, non porter au monde une parole d'Église; 
    même leur témoignage souffre d'un défaut de crédibilité 
    : comment persuader au-dehors que l'Évangile est école de vraie 
    liberté, alors que leur qualité de personnes majeures et responsables 
    n'est pas reconnue au-dedans? Privée de la parole missionnaire de ses 
    fidèles laïcs, l'Église ne peut plus guère espérer 
    que survivre dans nos régions en tant que minorité religieuse. 
    Cet espoir lui sera-t-il longtemps permis? Non, hélas!, puisque le 
    ministère de la vie spirituelle et sacramentelle appartient exclusivement 
    au clergé. Voici maintenant les fidèles menacés de ne 
    plus pouvoir mener leur vie de chrétiens à cause de leur impuissance 
    à susciter des vocations sacerdotales. Et voici l'Église menacée 
    effectivement d'extinction, de son propre aveu et consentement. Face une telle 
    éventualité, le chrétien est amené à se 
    demander : est-il possible que Jésus ait lié la dispensation 
    de sa parole et de sa vie au ministère des prêtres, et mis ses 
    simples fidèles sous leur dépendance, au point de condamner 
    la mission évangélique à s'arrêter et l'Église 
    à disparaître, faute de prêtres? La question est si grave 
    et si urgente que le théologien ne peutse dispenser d'interroger directement 
    l'Évangile, à ses risques et périls, par-delà 
    même latra dition historique dont se réclame le Magistère. 
  
    2. Les ressources de l'origine
    
    La remontée aux origines de l'Église, aux temps apostoliques, 
    nous fournira les moyens de faire face aux difficultés d'aujourd'hui; 
    on n'y trouvera pas des solutions toutes faites, mais la possibilité 
    de poser les problèmes autrement et de chercher des réponses 
    nouvelles à dessituations nouvelles.
    Tout d'abord, on ne voit jamais Jésus soucieux d'instituer un sacerdoce 
    nouveau qui remplacerait celui du Temple. Plus radicalement, il annonce la 
    venue imminente du Royaume de Dieu, il ne se préoccupe pas de poser 
    les fondations solides d'une institution religieuse destinée à 
    croître et à durer dans le temps. Dans les communautés 
    apostoliques, on ne voit pas de ministères sacramentels réservés 
    à des clercs consacrés; Paul donne la première description 
    d'une assemblée eucharistique sans faire référence à 
    des prêtres consécrateurs. Il est rapporté dans les Actes 
    que les apôtres établissaient des dirigeants dans les Églises 
    qu'ils fondaient ou visitaient, mais on ne les voit pas agir eux-mêmes 
    en chefs de communauté; une imposition de la main aux presbytes apparaît 
    tardivement, elle est d'origine rabbinique et de portée imprécise; 
    mais il est admis que le vocabulaire sacerdotal usité par le Nouveau 
    Testament se rapporte exclusivement au culte judaïque, et le seul écrit 
    qui parle du sacerdoce du Christ, l'Épître aux Hébreux, 
    n'envisage nulle part sa transmission dans l'Église.
    Il y a pourtant une exception notable à cette réserve linguistique 
    : plusieurs écrits du Nouveau Testament parlent de l'ensemble des fidèles 
    en termes de "peuple sacerdotal" ou de "royaume de prêtres", 
    reprenant d'ailleurs l'expression à des textes de l'Ancien Testament 
    qui décrivent l'accomplissement des promesses divines dans les temps 
    messianiques en suite de l'effusion de l'Esprit Saint. Si rares que soient 
    ces mentions, leur signification
    est claire : seul le prêtre avait le droit, en vertu de sa consécration, 
    de s'approcher de Dieu dans le Temple et de lui offrir sa prière et 
    celle du peuple; les chrétiens, semblablement et à un titre 
    supérieur, ayant reçu l'onction de l'Esprit du Christ, n'ont 
    pas besoin de recourirà des intermédiaires, mais jouissent d'un 
    accès direct auprès de Dieu. On voit à quel point ces 
    mentions isolées du sacerdoce des fidèles consonnent avec de 
    nombreux textes des apôtres, de Paul en particulier, qui parlent des 
    chrétiens en termes de Temples du Saint Esprit, pierres vivantes de 
    la demeure de Dieu, qui offrent à Dieu des actions de grâce et 
    s'offrenteux-mêmes à lui en sacrifices qui lui plaisent.
    On se trouve donc là sur un terrain solide, un terrain de fondation, 
    qui atteste la conscience des premiers chrétiens d'avoir reçu 
    du Christ la pleine capacité de subvenir par eux-mêmes aux besoins 
    de leur vie spirituelle. On en trouve une abondante preuve et illustration 
    dans les descriptions de la vie des communautés fournies par les écrits 
    des apôtres, de Paul en particulier : partout surgissent des ministères, 
    surtout de la parole, attribués aux «charismes » de l'Esprit 
    Saint et reconnus par les communautés; le besoin se fait sentir ici 
    et là d'y mettre de l'ordre, mais Paul s'adresse pour cela au « 
    discernement » des fidèles, sans faire appel à une autorité 
    instituée, notamment à propos des réunions eucharistiques 
    desCorinthiens. L'effusion universelle de l'Esprit est source de ministères 
    qui jaillissent de la
    elle-même, mis à sa disposition et contrôlés par 
    elle pour subvenir à ses divers besoins sacramentels (baptême, 
    eucharistie, réconciliation, onction des malades) et spirituels (catéchèse, 
    explication des Écritures, exhortation, jugement, envoi en mission). 
    Cette « ressource» originelle est en principe inaliénable 
    et inépuisable. Elle est l'accomplissement de la promesse de Jésus 
    à ses disciples, avant son départ, de leur envoyer « un 
    autre Paraclet » qui leur fournirait toute l'assistance dont il s'acquittait 
    lui-même auprès d'eux jusque-là.
    On se gardera bien d'oublier pour autant l'autorité conférée 
    par Jésus personnellement à ses apôtres pour l'annoncer 
    au monde, rassembler, enseigner, diriger ceux qui croiraient en lui jusqu'au 
    moment de sa venue en gloire. Au tout début de l'Église, le 
    terme d'« apôtre » revêt une acception assez large, 
    il s'étend à tous ceux qui avaient suivi Jésus de plus 
    près dans des groupes de disciples, qui avaient bénéficié 
    de ses apparitions après sa résurrection et lui rendaient publiquement 
    témoignage de lieu en lieu, et aussi à ceux que les communautés 
    envoyaient porter la parole en d'autres lieux. Assez vite cependant, une autorité 
    particulière fut reconnue aux « Douze » apôtres choisis 
    spécialement par Jésus, et étendue aux chefs des Églises 
    établis par eux pour leur succéder.
    Vers la fin du IIe siècle, la coutume s'établit de confier le 
    gouvernement des Églises, jusque-là assumé par un collège 
    de « presbytres » ou « anciens », à un seul 
    évêque, et c'est alors qu'apparaît pour la première 
    fois une ordination sacerdotale, qui habilite l'évêque, et lui 
    seul, à accomplir les principaux actes sacramentels, tandis que les 
    presbytres, eux aussi ordonnés, l'assistent dans le gouvernement du 
    peuple, le suppléent occasionnellement pour le service du culte, mais 
    ne deviendront prêtres à titre plénier et personnel que 
    deux siècles plus tard environ, quand ils seront mis à leur 
    tour à la tête d'Églises paroissiales. La distinction 
    clercslaïcs est donc instituée par des rites d'ordination au début 
    du IIIe siècle, ce qui met fin aux ministères des laïcs 
    et leur retire le droit à prendre la parole dans l'Église.
    On n'aura pas de difficulté à reconnaître à ces 
    ministres consacrés une autorité sacerdotale propre et particulière, 
    sans que cela oblige à ressourcer leur sacerdoce à un acte institutionnel 
    particulier. Comment le pourrait-on, alors que Jésus ne parle jamais 
    de sacerdoce et que le premier rituel d'ordination, celui d'Hippolyte, remonte 
    à l'origine du culte juif pour expliquer que le nouveau temple de Dieu, 
    l'Église, avait besoin d'un ministère nouveau afin que le culte 
    dû à Dieu ne tombât pas en déshérence? Il 
    est logique de rattacher le ministère consacré au seul lieu 
    du Nouveau Testament qui s'approprie le vocabulaire sacerdotal, et c'est en 
    parlant du peuple des fidèles du Christ; cela n'empêchera pas 
    de penser que les ministres consacrés exercent le sacerdoce à 
    titre personnel et d'une façon spécifique, en vertu de l'autorité 
    confiée par le Christ, ainsi que le rappelle Vatican II, et de reconnaître 
    ainsi la légitimité de la tradition sacerdotale de l'Église. 
    Mais cette tradition perdrait toute légitimité, si elle en venait, 
    dans la situation de détresse qui est la nôtre, à empêcher 
    les fidèles de s'alimenter aux sources de la vie spirituelle et sacramentelle, 
    sous prétexte que le sacerdoce commun du peuple chrétien, vide 
    de tout « pouvoir », se réduirait au besoin de recourir 
    au ministère des prêtres, ce qui serait une contradiction dans 
    les termes. Oserait-on dire que le Saint Esprit, source de toute sanctification, 
    se tient inactif dans l'Église, livré à la seule disposition 
    des prêtres? Jésus n'emploie le mot « pouvoir » que 
    pour le réduire à l'humilité du service, c'est-à-dire 
    l'empêcher de s'ériger en monopole et en contrainte. Quand donc 
    on s'aperçoit que la poursuite du monopole clérical, qui n'est 
    pas en tant que tel d'institution divine, conduirait l'Église à 
    la ruine, il est urgent de se retourner vers l'origine évangélique, 
    qui fut l'effacement de l'ancien dans du nouveau, pour y redécouvrir 
    et réactiver la puissance de renouveau dont l'Église a besoin.
    3. Un futur à réinventer
    L'Église du Christ est née de l'arrachement d'un petit reste 
    d'Israël à son passé par la mort de son fondateur et de 
    sa projection dans le monde païen par l'effusion de l'Esprit pour y inventer 
    une existence toute nouvelle et itinérante : « Allez par le monde 
    entier... » Aujourd'hui, rejetée par le monde qu'elle avait baptisé, 
    la voici contrainte de tirer de son envoi au monde une nouvelle manière 
    d'être-au-monde pour y remplir sa mission.
    Partons de ce principe : il ne s'agit pas que l'Église change de structures 
    pour mieux s'adapter à un monde nouveau, il s'agit qu'elle prenne les 
    moyens d'accomplir sa mission, qui est, je le répète, sa seule 
    raison d'être. Elle peut survivre telle quelle un certain temps, peut- 
    être encore longtemps, sous la forme d'une minorité religieuse; 
    mais sa mission est de setenir en lien de communication avec le monde, ce 
    qu'elle est incapable de faire présentement,
    faute de parler le même langage que lui; elle s'emploie, au contraire, 
    à en retirer les fidèles et â les regrouper dans des enceintes 
    sacrées autour des prêtres, tant qu'il en restera.
    L'avenir de l'Église, bien au contraire, c'est de laisser ses fidèles 
    aller au monde, y implanter des communautés de disciples ouvertes à 
    la vie des autres, y témoigner de la liberté qu'ils tiennent 
    du Christ et de la vitalité de l'Évangile, en assumant pleinement 
    la responsabilité de leur existence chrétienne engagée 
    dans la vie du monde.
    Comment se fera le changement institutionnel de l'Église? Je ne chercherai 
    pas à l'imaginer; peut-être se fera-t-il par le haut, par des 
    mesures d'autorité, ou au prix de bouleversements tumultueux, peut-être 
    continuera-t-il à se faire silencieusement par en bas, ainsi qu'on 
    voit tant de chrétiens quitter les lieux officiels de chrétienté 
    et se regrouper ailleurs pour vivre en chrétiens autrement. Sans prétendre 
    tracer un organigramme du changement, il est
    possible d'évoquer les traits constitutifs d'une communauté 
    de disciples selon l'Évangile : méditer ensemble la Parole de 
    Dieu, l'interroger pour en recevoir les réponses aux questions du monde, 
    s'ouvrir à toutes les personnes en quête de sens à la 
    façon dont Jésus fréquentait les pécheurs, se 
    mettre en peine de soulager les souffrances de la société à 
    la manière dont Jésus allait au-devant des malades, accueillir 
    la présence du Seigneur qui a promis de venir au milieu des siens, 
    « annoncer la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'Il vienne » 
    et se nourrir du Pain de vie, célébrer les mystères de 
    l'identité chrétienne, recevoir et initier de nouveaux disciples, 
    se donner les ministres et présidents dont les chrétiens ont 
    besoin pour se constituer en corps du Christ dans la fidélité 
    à la tradition chrétienne.
    Car le changement de style de vie commune ne se fera pas en rupture avec la 
    tradition de l'Église, par la médiation de laquelle, seule, 
    les chrétiens sont en droit de se dire et en pouvoir de se tenir dans 
    la « suite » du Christ. Il ne saurait être question de supprimer 
    le ministère consacré, pas plus que d'instituer dans les communautés 
    un nouveau clergé rival du clergé officiel. Les membres de ces 
    communautés célébreront les mystères de leur appartenance 
    au Christ en vertu du sacerdoce commun du peuple chrétien, quelles 
    que soient les attributions de leurs ministres ou présidents et les 
    procédures de leur mise en place. Mais le ministère consacré 
    de la tradition apostolique gardera toujours sa nécessité et 
    sa spécificité, qui tiennent à l'historicité et 
    la spatialité de l'Église; sa fonction est, d'une part, de jalonner 
    la route par laquelle toute grâce et vérité découle 
    de la personne et de l'événement de Jésus sous la garantie 
    de ses envoyés et, d'autre part, de tenir en lumière et en activité 
    les signifiants et les articulations de l'unité et de l'universalité 
    du corps du Christ. C'est pourquoi les communautés auront à 
    coeur de vivre en communion avec leurs évêques, et ceux-ci de 
    respecter et d'encourager, plutôt que d'entraver, la libre créativité 
    des chrétiens.
    Plus les fidèles laïcs se prendront eux-mêmes en charge, 
    plus le ministère consacré retrouvera son caractère originel, 
    apostolique et épiscopal, c'est-à-dire itinérant et global 
    : visiter les communautés, leur rendre les services qu'elles réclameront, 
    connecter leurs activités évangéliques, sociales ou caritatives, 
    les rassembler dans des célébrations d'unité, subvenir 
    aux besoins religieux des chrétiens dispersés ou des masses 
    déchristianisées, promouvoir l'évangélisation 
    sur un plan régional ou national. Ainsi, grâce, d'un côté, 
    à la responsabilisation des laïcs dans des communautés 
    devenues autonomes et, d'un autre côté, à l'allègement 
    des charges du ministère consacré et à l'élargissement 
    de ses perspectives, l'Église sera capable d'assumer plus efficacement 
    sa mission évangélique.
    La prise de responsabilité des laïcs ne doit pas être vue 
    comme une prise du pouvoir, arraché aux mains de ses détenteurs 
    actuels. Mais elle ne se fera pas non plus sans une associationdes premiers 
    au pouvoir exercé par les se conds. La hiérarchie a peur que 
    ne s'introduise un peu de démocratie dans l'Église, ce qui semble 
    représenter pour elle le mal suprême; aussi prétend-elle 
    ne pas disposer à son gré du pouvoir que le Christ lui a confié 
    et qui appartient à lui seul. Mais où voit-on dans le Nouveau 
    Testament que l'Église aurait été fondée sous 
    le régime de la monarchie? La seule loi donnée par Jésus 
    à ses apôtres est l'interdiction de commander
    à la façon des puissants de ce monde, c'est-à-dire par 
    mode de domination. Le pouvoir ne doit pas s'exercer sans partage, afin que 
    l'obéissance soit rendue à Dieu
    même et ne s'arrête pas à la personne des chefs, afin également 
    que l'autorité n'empêche pas la libre créativité 
    inspirée par l'Esprit Saint aux membres du corps du Christ pour la
    croissance de ce corps. Le pouvoir ecclésiastique est donc limité 
    par l'obligation de respecter ce que Paul appelle « la concitoyenneté 
    des saints » : il est permis d'entendre par là les
    droits des fidèles laïcs à participer à la gestion 
    de leur être-au-Christ, de leur vivre-ensemble en Église, de 
    leur vivre-en-chrétiens dans le monde, et aussi à la gestion 
    du bien communde la société séculière, qui ne 
    relève pas de l'autorité de l'Église. Tous ces droits 
    méritent d'être considérés comme inhérents 
    à l'égale appartenance de tous les chrétiens au Christ.
    L'apparition du sujet moderne, avons-nous dit, est liée à la 
    revendication de la liberté de conscience, du droit de chaque individu 
    à suivre le jugement de sa conscience et à agir en personne 
    responsable de ses choix et de ses actes. L'Église a été 
    désertée par tant de fidèles et a perdu sa crédibilité 
    au regard du monde moderne, parce qu'elle n'a pas su concilier le respect 
    de cette liberté avec l'autorité divine dont elle se prévalait, 
    et parce qu'elle refusait à ses membres les droits que les États, 
    eux aussi plus ou moins théocratiques, durent concéder à 
    leurs citoyens – avant tout le droit de participer à l'expression 
    d'une volonté commune.
    L'Église ne rentrera pas en communication avec ce monde tant qu'elle 
    n'aura pas donné figure en elle-même à la liberté 
    dont l'Évangile est la source. La reprise effective de sa mission est 
    au prix de cette conversion.
    Joseph Moingt
    Source : http://www.culture-et-foi.com 
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: « La religion, la spiritualité et la conviction jouent un rôle central dans la vie de millions de femmes et d'hommes.... Le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion est inaliénable et tout individu doit pouvoir l'exercer....Il convient toutefois de reconnaître que toute forme d'extrémisme peut exercer un effet négatif sur les femmes et conduire à la violence et à la discrimination ….Les gouvernements devraient :... condamner la violence à l'égard des femmes et s'abstenir d'invoquer des considérations de coutume, de tradition ou de religion, pour se soumettre à l'obligation de l'éliminer conformément à la Déclaration sur l'élimination de toute forme de discrimination à l'égard des femmes...( Plate-forme de la Conférence de Pékin, art.124 )
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« LES MERVEILLES VECUES DANS NOS VIES »
QUAND l’ESPRIT OSE L’ESPERANCE
En réponse à l’enquête du diocèse de Luçon 
    :
    « Depuis le Synode qu’est-ce qui a été pour vous 
    un émerveillement dans votre vie ? »
    par Jean-François Morineau adhérant à SEL85 (Solidarité 
    Eglise Liberté Vendée)
A la réflexion, c’est pour moi un « émerveillement » de prendre conscience de l’action de l’Esprit qui « ose l’espérance »- telle que je l’interprète aux yeux de ma foi- dans une Église que l’on pourrait croire dépressive parce que peu à peu délaissée, braquée dans l’autodéfense et la fausse sécurité des traditions.
 Ce qui m’émerveille c’est le renouveau depuis le 20° 
    siècle de la réflexion théologique stimulée par 
    les acquis des sciences de la terre et de l’homme qui peuvent sembler 
    en opposition avec les énoncés de la doctrine chrétienne.
    Or, s’il y a une vérité, elle ne peut être qu’une.
    Quand la science établit une vérité, la foi ne peut être 
    qu’en accord avec elle et doit se mettre en question si sa formulation 
    en diffère. C’est à cette exigence de révision 
    rationnelle qu’ont invité les Papes. Jean-Paul II dans son Encyclique 
    « Fides et Ratio » et même Benoît XVI dans ses discours 
    de Ratisbonne et des Bernardins à Paris.
    « Il faut disent-ils : rationaliser la foi »
Et voilà que l’Esprit a inspiré bon nombre de théologiens, 
    mais aussi d’évêques, pour exprimer la nécessité 
    d’une refondation des énoncés de la foi chrétienne, 
    afin qu’elle devienne crédible et recevable aux hommes de ce 
    temps.
    Il en est ainsi des premiers chapitres du livre de la Genèse qui à 
    travers une fable poétique essaient de nous dire le sens de l’origine 
    du monde et de l’homme, mais ne peuvent rien nous dire sur le « 
    comment ? »
    De même le récit mythique d’un paradis terrestre qui n’a 
    pas pu exister et de l’origine individuelle d’un premier homme 
    et d’une première femme, quand l’anthropologie scientifique 
    tend à démontrer l’émergence polygénique 
    de l’humanité, dans un processus d’humanisation progressive. 
    
    Et la « faute » de ces inconnus qui se serait transmise, comme 
    génétiquement, à toute l’humanité, si l’on 
    peut faire crédit à la théologie augustinienne qui a 
    inventé le « péché originel » pour justifier 
    la rédemption, alors qu’il n’y a aucun péché, 
    mais seulement la condition humaine imparfaite.
Et que dire dans l’église, de la prééminence de 
    l’homme sur la femme, théologiquement sans fondement, mais seulement 
    séquelle de la condition féminine qui sévissait alors 
    dans la civilisation judéo-arabe ?
    Et cette subordination de la femme continue, dans l’église catholique, 
    à lui interdire l’exercice des ministères…
Et pourtant, toutes ces fausses interprétations et tous ces errements perdurent dans la dogmatique chrétienne, dans l’enseignement officiel de l’église et dans sa catéchèse, au risque de les discréditer.
 Alors, osons l’espérance des merveilles de l’Esprit !
    Qu’il renouvelle la face de l’Église !
***
”SOLIDARITE – ÉGLISE – LIBERTE 85”
Rencontre du 10 avril 2010
"COMMUNAUTES ET COMMUNAUTARISMES"
    Lors de notre dernière rencontre de SEL-85, en novembre 2009, nous 
    avons reconnu que l'on ne pouvait vivre sa foi de chrétien que dans 
    la relation aux autres. On ne peut pas être chrétien tout seul.
    La relation aux autres, nous la vivons dans notre vie de tous les jours, mais 
    souvent, elle reste superficielle.
    La relation aux autres dans le partage de notre foi ne nous paraît pas 
    satisfaisante et féconde dans le cadre de la vie de l'Eglise, et notamment 
    de sa pratique cultuelle : les célébrations eucharistiques nous 
    semblent souvent plaquées sur des rites, sans lien direct avec la vie, 
    sans partage de vie.
    Aussi, nous nous sommes demandé si nous ne pourrions pas nous interroger 
    sur l'intérêt et les chances d'une vie de groupe, en communauté, 
    mais aussi sur ses difficultés, ses risques et ses déviances.
Dans un premier temps, chacun était invité à apporter un témoignage sur d'éventuelles expériences de vie en communauté, quel qu'en soit le type : motivations, modalités de la coexistence, bienfaits retirés, mais aussi difficultés rencontrées, déceptions ressenties, échecs, raisons d'un retrait, nostalgies ressenties…
? "Dans notre petite congrégation, nous vivons notre vocation 
    religieuse dans la règle de notre ordre : adoration de Dieu en Jésus-Christ 
    et au service des autres, notamment dans l'association A.R.S. (Alphabétisation, 
    Remise à niveau, Soutien scolaire) ouverte aux migrants".
    ? "Les expériences de vie communautaire qui m'ont laissé 
    le souvenir d'un "vivre ensemble" constructif et épanouissant 
    ont été pour moi : - la vie en équipage sur un voilier, 
    - la vie en équipes professionnelles, - dans la vie associative, autour 
    d'un objectif partagé : "faire l'Eglise autrement, hors les murs".
    J'en retiens un certain nombre de valeurs qui font communauté : - la 
    confrontation aux autres différents, - la participation à un 
    but commun, - l'adaptation aux circonstances, agréables ou difficiles, 
    - l'acceptation par chacun de la place qui lui convient, dans une unité 
    de lieu et de temps, dans l'échange "donner-recevoir", - 
    l'avancée ensemble vers des objectifs communs".
    ? "Sans expérience directe de vie en communauté, j'ai fréquenté 
    et observé la communauté charismatique à laquelle appartenait 
    ma sœur avec son mari et leur six enfants, constituée de religieux, 
    religieuses, laïcs célibataires et familles. Ils partageaient 
    la même habitation avec locaux privatifs et locaux partagés. 
    Ils pratiquaient un partage financier avec une coopérative d'achats 
    et partageaient aussi des temps de réflexion et d'échanges, 
    de repas, de célébrations dans une ambiance harmonieuse et paisible, 
    apparemment séduisante.
    Au bout de 20 ans, des dysfonctionnements, voire des dérives sectaires 
    sont apparus : structure hiérarchiques figée, manque d'écoute 
    et de démocratie… la communauté a éclaté".
    ? "Certaines paroisses peuvent être considérées comme 
    de véritables communautés de vie et d'engagements vivifiées 
    par et autour d'un prêtre animateur, avec le risque de voir la flamme 
    s'éteindre au départ du prêtre".
    ? "Les communautés de base" de l'après-Vatican II 
    ont été un temps d'espérance, de prise de recul par rapport 
    à l'Eglise traditionnelle, dans l'aspiration à un changement, 
    à une ouverture au monde. Mais elles se sont effilochées par 
    divergences des engagements de leurs membres.
    ? Notre engagement en couple, comme permanents nationaux du M.R.J.C. a été 
    un temps d'une vie communautaire chaleureuse".
    ? "Nous avons vécu en couple une certaine forme de vie communautaire 
    avec le mouvement "Vie Nouvelle", dans le groupe local pendant une 
    trentaine d'année (1955-1985). 
    La Vie Nouvelle permet à ses membres dans une vie de groupe, en communauté, 
    une démarche d'intégration permanente de leurs dimensions personnelles 
    et familiales, ecclésiales, sociales et politiques. En mettant en commun, 
    dans le groupe, nos expériences de parents, de citoyens, de chrétiens, 
    de militants, sans les cloisons qu'imposent les règles du jeu dans 
    les groupements spécialisés, nous avons pu vérifier ensemble, 
    en la pratiquant, la fécondité de cette vision synthétique 
    et dynamique sur la personne humaine ne se réalisant que dans la relation 
    aux autres, dans la participation à une communauté. 
    L'originalité de la vie partagée de cette communauté 
    était signifiée par la mise en œuvre d'une péréquation 
    de nos revenus, permettant d'assurer à chacun un "optimum vital", 
    communautairement défini mais non sans quelques difficultés…
    Avec le recul de l'âge, nous pouvons mesurer maintenant les mutations 
    fondamentales que cette expérience de communauté de vie, de 
    réflexion et d'engagement a apporté dans notre existence, dans 
    le recentrage des valeurs humaines au sein de la société, dans 
    la maturation de notre foi chrétienne et la relativisation de la médiation 
    de l'Eglise, dans la nécessaire cohérence entre nos choix de 
    vie et nos options politiques".
    ? "Nous participons à la communauté de la Mission de France 
    comportant prêtres et laïcs, qui est comme un diocèse dans 
    l'Eglise. Nous partageons une vie en équipe, de fraternité élargie, 
    de dialogue avec des incroyants".
    ? "J'ai eu des expériences diverses de vie communautaire. La première 
    communauté a été ma famille et ma fratrie, où 
    j'ai appris le respect des autres au delà des divergences et les règles 
    d'une vie commune, fondée sur l'amour. En coopération missionnaire 
    en Afrique, j'ai vécu une communauté de partage. En congrégation 
    religieuse, même en référence à Vatican II, la 
    coexistence m'a paru abstraite, sans partage des réalités de 
    la vie, sans lieu de parole. J'ai expérimenté la réalité 
    d'une humanité faible et limitée. Mais c'est une expérience 
    qui reste enrichissante et j'y ai vécu des choses belles et fortes.
    La maladie m'a rattrapée dans cette vie et la congrégation n'était 
    pas faite pour intégrer ma différence et mon handicap. Alors, 
    il a fallu faire un choix : soit je restais et il me fallait nier ma maladie, 
    soit je partais et tentais de vivre autrement dans le respect de mon corps. 
    Je suis partie !"
    ? "La communauté de base à laquelle j'ai participé 
    dans les années 70-80 était composée de couples et d'un 
    prêtre : nous nous retrouvions pour des soirées d'échanges 
    sur un thème, des célébrations et même des baptêmes. 
    À deux reprises, nous avons participé à des rencontres 
    nationales. Au départ du prêtre, le groupe n'a pas survécu.
    Dans un autre groupe où régnait aussi un esprit communautaire, 
    les rencontres étaient en lien avec nos engagements : - dans la vie 
    politique (sensibilité autogestionnaire) ; associative (C.S.C.V., santé 
    et consommation) ; dans les loisirs (nous aimions faire la fête). Je 
    garde la nostalgie de ce groupe en raison de la convivialité, de la 
    simplicité des relations, de la liberté, de la tolérance 
    et de l'utopie qui y régnaient et que je n'ai pas retrouvé ailleurs. 
    Cette expérience laisse dans ma vie une trace indélébile". 
    
    "La communauté, c'est le pied" !…(entre autres pieds…!) 
    – cf. lecture d'un texte d'une moniale du Carmel de Chavagnes -.
QU'EST-CE QUI FAIT "COMMUNAUTE" ?
À partir de ces témoignages, nous avons ensuite essayé 
    de définir les caractéristiques constitutives de ce qui fait 
    communauté.
    Une communauté serait ainsi une forme de vie, une entité de 
    vie, réunissant des personnes qui mettent "des choses" en 
    commun.
    ? Ce peut être le "vivre ensemble", soit de façon permanente, 
    organisée (comme dans une communauté religieuse) soit de façon 
    occasionnelle.
    ? Ce peut être des affinités idéologiques : convictions, 
    croyances, vie de Foi, projet de société (justice sociale, droit 
    des femmes…) ; projet politique (démocratie participative, alternative 
    anti-capitaliste, contestation d'un système étatique…) 
    ; motivations religieuses (contestation d'une organisation ecclésiale 
    aliénante…) ; ouverture aux autres, à la différence, 
    à l'exclusion…
    ? Ce peut être des liens humains : au niveau du logement, des quartiers, 
    des lieux de travail ou de loisirs ; des liens culturels, une convergence 
    d'engagements, une mutualisation de moyens, de services, une péréquation 
    de revenus.
    La Famille : communauté de vie obligée, non choisie…
    ? Ce peut être la recherche d'unité et d'efficacité dans 
    l'action : action syndicale, politique, sociale ; défense des consommateurs, 
    aide à la personne, aux handicapés…
    Engagements en faveur du tiers-monde, des immigrés, des exclus, de 
    l'écologie planétaire…
    
    On ne peut parler de communauté, disent certains, s'il n'y a pas partage 
    de vie, quel qu'en soit le degré et les modalités. Sinon, il 
    s'agit seulement d'un regroupement autour de convictions, d'engagements communs, 
    de croyances, d'affinité.…
    La définition du dictionnaire semble aller dans ce sens : "Groupe 
    de personnes vivant ensemble"… et poursuivant un but commun". 
    Pour les communautés religieuses cependant, il est dit seulement :"société 
    de religieux soumis à une règle commune, sans souligner la résidence 
    commune.
LES PETITES COMMUNAUTES, DE MAI 68 A VATICAN II
- Les petits groupes ont toujours existé : la famille, les bandes, 
    les groupes de partisans clandestins ou semi clandestins, les cellules ou 
    sections de partis politiques, les équipes sportives, les syndicats, 
    les apôtres (les douze !), les confréries, les ordres religieux…les 
    sectes.
    - Depuis la deuxième moitié du 20ème siècle, ces 
    regroupements ont connu un regain d'intérêt notamment depuis 
    le Concile Vatican II et l'espoir d'une ouverture de l'Eglise au monde, et 
    la crise culturelle de Mai 1968, traduisant et laissant espérer une 
    réponse aux aspirations et aux besoins dont ces deux évènements 
    étaient porteurs :
    - Besoin d'expression personnelle, plus facile dans un petit groupe, surtout 
    si c'est la règle commune, que chacun puisse dire ce qu'il pense et 
    être accepté sans être jugé, soit parce que c'est 
    la règle commune d'acceptation de l'autre, soit parce que l'on partage 
    un langage commun , des valeurs et des références communes. 
    Le groupe représente alors comme une expression collective indispensable.
    - Besoin de spontanéité : le groupe n'est pas imposé, 
    il naît spontanément. On peut y être soi-même. Souvent, 
    il n'a pas de but précis ni fixé à l'avance. Il est ouvert 
    à la créativité, à l'imagination, à la 
    recherche. Il s'autodétermine. On y vit une "expérience": 
    son but, son efficacité, c'est cela même.
    - Besoin de contestation : devant des structures légalistes et rigides, 
    écrasantes et inadaptées, le groupe, où le pôle 
    émotionnel, affectif, communionnel est important, conteste le type 
    de société existant, rationnel, organisé, structuré, 
    hiérarchisé, productif, puissant… et en même temps 
    témoigne qu'un autre type de rapports humains est souhaité, 
    voulu et possible, préfigurant une nouvelle société, 
    expérimentant une "autre société".
    - Besoin de participation : dans une société de consommation, 
    le groupe permet d'avoir part aux décisions, aux responsabilités. 
    On peut y avoir une influence d'autant que le groupe rassemble des gens qui 
    ont une même vision politique, philosophique ou théologique et 
    donc un langage commun.
    - Besoin d'amour : dans un groupe d'amis, on est enfin reconnu, estime, aimé. 
    C'est une compensation nécessaire à la compétitivité, 
    la lutte, l'agressivité qu'impose la société. Et cela 
    permet de vivre.
    - Besoin d'autorité qui peut paraître paradoxal. Mais il s'agit 
    d'une autorité non imposée, déléguée et 
    consensuelle, temporaire et alternée. L'animateur remplace le chef. 
    L'autorité de service remplace l'autorité de droit. L'autorité 
    devient service que l'on reconnaît chez une personne connue.
    Ces besoins et ces aspirations s'appliquent à la société 
    globale comme à l'Eglise.
PROMESSES ET DERIVES DES COMMUNAUTES
Si le phénomène des petites communautés apparaissait 
    porteur de promesses, notamment dans l'Eglise (communautés de base), 
    il n'était pas exempt de dangers et de dérives.
    Ces communautés de base n'ont pas été le ferment de renouveau 
    de l'Eglise espéré et voulu. Elles se sont fait peu à 
    peu bloquer et récupérer par l'institution. 
    Qu'en demeure-t-il aujourd'hui ?
    L'aspiration à un renouveau de l'Eglise dans sa théologie et 
    dans sa pratique, pour se libérer de "l'autoconsommation chrétienne" 
    reste cependant bien vivante dans des groupes qui sont moins des communautés 
    que des regroupements de conviction, comme les Réseaux des Parvis où 
    nous nous situons, SEL 85.
    Quant aux communautés ethniques, religieuses, idéologiques qui 
    se développent dans nos sociétés mondialisées 
    pluriculturelles, elles ne sont pas sans risques de dérives communautaristes 
    et sectaires.
    La revue "Notre Combat" des groupes "Témoignage Chrétien" 
    signalait déjà dans les années 1970, à propos 
    des communautés de base, les dangers d'un repli communautariste. Elle 
    répertoriait :
    • La dégénérescence en cercle fermé, devenant 
    lieu d'autosatisfaction, d'enkystement religieux, de particularisme collectif;
    • La non-communication avec le reste de l'Eglise, avec prétention 
    à l'exclusivité;
    • La cohésion affective et sentimentale du groupe dans lequel 
    la Foi se méfie de l'intellectualisme et n'affronte plus la rationalité 
    du monde;
    • L'inaptitude à mesurer la dimension collective des engagements 
    dans le monde et la méfiance vis-à-vis des institutions et des 
    mouvements;
    • La réduction à une vie "artisanale", émouvante 
    mais vaine, fuyant les affrontements avec les conditionnements économiques, 
    culturels, religieux;
    • Quand l'esprit d'ouverture prophétique d'ouverture est remplacé 
    par l'esprit de jugement, par le repli sur soi, dans la pureté et l'intransigeance 
    dogmatique seule détentrice de la vérité, par le refus 
    d'accepter les autres.
    Alors une communauté qui commence à présenter de tels 
    symptômes est en passe de dégénérescence sectaire. 
    "Cela dit, ces risques sont l'indice de la valeur même de ces communautés" 
    (Dominique Chenu).
    EN GUISE DE CONCLUSION cet extrait d'un texte d'Andrès Lauson, des 
    communautés de base d'Argentine, proposé en lecture de méditation 
    pour clore notre rencontre :
    "Il faut remplacer le "chacun pour soi" de la civilisation 
    actuelle par la loi de la communauté, c'est-à-dire que chacun 
    apporte tout ce qu'il peut en fonction de ses talents pour recevoir de la 
    communauté tout ce qu'elle peut lui offrir pour la satisfaction de 
    ses besoins. C'est l'égalité des droits dans l'inégalité 
    des devoirs".
 Rapporteur : J.F. MORINEAU